Rendez-vous avec le savoir

Après avoir laissé la journaliste, Raizo se dirigea vers le manoir de Sarah Oriane Rosenberg. Il se devait de la prévenir de la possible visite de Cismihelle, bien que cela ne soit en rien certain.
Il arriva devant la large grille qui permettait d'entrer dans la propriété. Elle s'ouvrit toute seule, ce qui était mystérieux voire inquiétant ; après tout, le spadassin ne s'était jamais rendue chez cette vampire, à peine l'avait-il entrevue à de rares reprises... Pour cette rencontre, il s'était vêtu de façon classique pour un habitant de Tenebrys, ses sabres mis à part, qui étaient passés dans sa ceinture comme à l'accoutumée.
Raizo arriva finalement devant la porte d'entrée, qui là encore s'ouvrit sans la moindre interaction de sa part ; néanmoins, ce fut un serviteur qui se découpa dans la lumière tamisée de l'entrée, et qui déclara sobrement :

"Veuillez me suivre."

Raizo opina inutilement du chef et suivit le majordome jusqu'au salon. Le vampire fut impressionné par l'incroyable quantité de livres présents ici, c'en était déconcertant... Mais de ce qu'il avait entendu dire, son hôtesse savait tout sur tout. Et il fallait bien commencer par apprendre quelque part...

Elle savait qu'il allait tôt ou tard venir lui rendre visite. Elle connaissait son lien de parenté avec la journaliste et ce qu'il s'était passé, il y une vingtaine d'années. Assise à la fenêtre de sa plus haute tour qui donnait sur l'entrée, elle l'observa remonter l'allée. De petits yeux ambrés l'avaient également observé.
Lorsqu'il pénétra dans le manoir, Sarah descendit de son perchoir et emprunta le long escalier qui devait la mener au salon.

Le majordome, humain de son état, sortit du salon sans un bruit. Quelques minutes passèrent avant que la porte ne se rouvre brutalement. Deux ombres se faufilèrent et se mirent à observer le vampire, l'un du dessous de la table, l'autre du haut de l'une des nombreuses bibliothèques. Les deux ombres prenaient grand soin de rester dans l'ombre seuls leurs yeux verts et verts ambrés fixaient l'intru.

Raizo ne savait que faire. S'asseoir et prendre un verre, ou regarder cette collection exceptionnelle ? Il se décida assez vite, en fait, car il n'avait jamais vu une telle somme de connaissance rassemblée en un seul lieu. Aussi commença-t-il à parcourir les rangées et les titres, s'attardant sur tel ou tel ouvrage, voire le feuilletant pour voir de quoi il traitait. Il n'y a pas à dire, Sarah Oriane Rosenberg était lettrée, cultivée et sûrement assez fortunée.
Il se retourna en rangeant le livre qu'il avait entre les mains à la va-vite lorsque la porte ne s'ouvre brutalement, et se retourna, comme un écolier pris en faute. Il observa les deux ombres l'un après l'autre, fixant leurs yeux verts sans les faire se détourner. Vraiment très bizarre... Le vampire n'avait aucune idée de ce qu'étaient ces ombres ; il allait sûrement le demander à son hôtesse lorsqu'elle entrerait.
Bref, en attendant, Raizo hésitait à reprendre son feuilletage. Qui sait si ces créatures n'allaient pas le dénoncer à Sarah Oriane, et puis d'ailleurs, elle n'aimait peut-être pas qu'on touche à sa collection ! Le vampire préféra donc s'asseoir dans un siège, très confortable par ailleurs, et attendre la Rosenberg bien tranquillement...

Elle apparut au seuil de la porte, vêtue de sa longue cape noire rabattue comme à son habitude sur son visage de tel sorte que l'on ne pouvait le voir.

- Raizo Otsu, le vampire solitaire. Dit-elle d'une voix feutrée presque murmurante.

Elle s'avança dans la pièce, révélant ainsi la longue robe blanche au gré de ses pas, qu'elle portait sous sa cape noire. Alors que le vampire se lève, elle se plaça face à lui. Un fin sourire non visible s'afficha sur son visage.

- Je vous souhaite la bienvenue en cette humble demeure.

Elle s'inclina légèrement et alla s'asseoir. Les deux ombres sortirent de leur cachette révélant ainsi leur état félin. D'un pas léger, le noir et blanc (oui oui c'est Luna ^^) vint se lover sur les genoux de sa maîtresse, tandis que le tigré (oui tu ne rêves pas c'est Sora :p) prit place sur ceux de l'invité.

Sarah fit tinter une clochette et apparut le majordome.

- Maîtresse ?
- Apportez-nous deux verres carmin.

L'homme s'inclina et sortit. Sous sa sombre capuche, elle observait Raizo. Cet homme aux allures fiers sans toute fois être hautaines, avait vécu nombres de souffrances et la dernière se devait être l'une des plus difficiles...

- Je connais la raison de votre visite. Cette jeune journaliste, votre descendante. Elle vous a rejeté, n'est-ce pas ? Racontez-moi. N'oubliez aucuns détails.

Le majordome revint avec deux verres en cristal posés sur un plateau d'argent accompagné d'une bouteille de vin. Il posa le plateau sur un petit guéridon et servit. Le liquide carmin qui s'échappa de la bouteille, offrait une vue exquise et alléchante. L'odeur qui en sortait, tatillonnait toutes les papilles vampiriques et promettait un nectar sans pareil. L'homme offrit le verre à chacune des personnes présentes puis s'éclipsa discrètement, sans autres formes de cérémonie.

- Mais avant cela, goutez ce somptueux nectar.

Sarah leva son verre et but une gorgée.

- Il est parfait. Ne le buvez pas d'un trait mais dégustez le pour rendre hommage à sa délicatesse.

Elle se tut, regardant Raizo, dégustant ce sang si rare et introuvable.

Quand son hôtesse entra, Raizo se leva, vite mais sans précipitation, et s'inclina bas. Il n'essaya pas de percer l'ombre de la capuche, car il ne voulait pas commettre d'impair, et par ailleurs chaque personne pouvait avoir la fantaisie de se vêtir selon son souhait ; que diable, lui-même était bien mal placé pour faire la leçon !

"Le plaisir et l'honneur sont miens, très chère."

Lorsque Sarah Oriane s'assit, il en fit de même, face à elle. Et il fut aussitôt assaillit par un p'tit rayé qui décida unilatéralement et arbitrairement que ses genoux étaient la place la plus confortable du monde. Qu'importe, il aimait bien les chats, et commença à le caresser doucement de la main gauche.
Le vampire ne put éviter un bref mouvement de recul lorsqu'elle lui annonça connaître la raison de sa venue. Comment pouvait-elle déjà être courant ? Certaines sources de son savoir semblaient rien moins que magiques ! Ou vampiriques...
Ce fut ses sens vampiriques qui s'éveillèrent d'un coup lorsque le serviteur versa le contenu dans la bouteille dans les verres de cristal. Du sang... Et, a priori, du grand sang, de qualité. Il remercia le majordome d'un hochement de tête, et huma le contenu du verre -nulle méfiance, simple plaisir- avant de le faire un peu tourner pour en apprécier la teinte frisant la perfection. Enfin, il y trempa ses lèvres pour en boire une petite gorgée. Ce sang était tout bonnement exquis, un des meilleurs qu'il n'eut jamais goûté.

"Permettez-moi de vous complimenter sur le sang que vous possédez, il est d'une saveur rare."

Il en but une seconde gorgée, reposa le verre sr la table basse et se rencogna dans son siège, avant de prendre la parole.

"Pour vous expliquer dans les détails, je vais remonter assez loin dans le temps. J'ai rejoint les Familles il y a de cela un millénaire et quatre siècles. Le poids de la solitude m'accablant parfois, il m'est arrivé de prendre des amantes humaines. La plupart du temps, je pense, il n'y eut nulle descendance. Néanmoins, la famille Erudil en faisait partie.
Je ne sais de quelle amante ils peuvent provenir. Toujours est-il que je les ai découvert à une macabre occasion. J'étais alors en couple, depuis plusieurs siècles, avec une vampire Noble, et bien que nous n'ayons nul enfant, nous étions heureux et imaginions notre relation durer l'éternité, car nous étions prudents. Toutefois, elle se fit tuer par un certain Aurélien Erudil, que je connaissait pas encore. Œil pour œil, dent pour dent, j'ai tué leur enfant encore bébé, et j'ai pour ma part considéré que l'affaire s'arrêtait là, m'étant vengé et leur ayant tout de même laissé la vie sauve. Quelques années plus tard, j'entendis dire que cet homme et sa femme me traquaient toujours. J'ai donc décidé de frapper préventivement ; je me suis introduit dans les rêves d'Erudil et l'ait éloigné, seul. Puis je me suis introduit chez lui et ait tué sa femme. Je voulus tuer également son enfant, mais je n'ai pas pu, car j'ai senti qu'elle était de mon sang.
Un instinct paternel ayant pris le dessus, j'ai emporté la petite dans le but de l'éduquer et pour éviter qu'elle ne devienne une Chasseuse comme ses parents. Hélas Erudil me retrouva. Il était motivé, bien préparé, et surtout, il était également de mon sang. Je l'ai donc laissé partir, j'ai appris qu'il avait déposé Cismihelle à la Fondation, et depuis je ne sais plus rien de lui.
Lorsque ma descendante sortit de la Fondation, j'ai décidé de la protéger des nôtres mais aussi des lycans. Bien que n'étant pas présent lors de l'affaire du cimetière, je l'avais accompagnée dans une rencontre nocturne étrange. Quand elle parvint à apprendre mon nom, j'étais son ombre. Et lorsque je vis le Prince et son chien entrer chez elle, je me suis précipité pour la protéger au cas où. Ils étaient là, en fait, pour récupérer des armes, mais le Prince dévoila à la jeune femme qui j'étais. J'ai essayé de m'expliquer avec elle, mais de façon compréhensible, elle ne me crut pas. Je me suis donc permis de laisser un mot l'enjoignant à vous contacter pour savoir la vérité... Et pour vous prévenir, voire recevoir moi-même des conseils, je suis ici."

Une fois sa tirade achevée, Raizo reprit le câlinage du chat tout en prenant une autre gorgée de sang. Il jouait cartes sur table...

Elle l'écouta religieusement, caressant Pâquerette sur ses genoux et buvant de temps en temps son liquide précieux. A la fin de son récit, elle posa son verre, chassa doucement le minet et se leva. Elle se dirigea vers sa bibliothèque et laissa glisser ses doigts sur les nombreuses tranches de livre.

- Le temps, l'Histoire, les Familles. Nombre de sujets intéressants et qui recèlent notre avenir si on sait y prêter l'attention qu'il leur ait dû. Les Humains disent qu'il faut connaître le passé pour ne pas répéter les mêmes erreurs. Sarah rit doucement. Voilà une leçon qu'eux même n'arrivent pas à intégrer. J'avoue que je comprends mal l'intérêt de se lier à eux. Mais qui suis-je pour dire ces mots alors que mon majordome est un humain pur souche.

Sarah sortit un livre de sa rangée et le tendit à Raizo. Sa couverture était en cuir brun quelque peu délavé et le titre brodé de fils d'or annonçait : Histoire de famille.

- Je sais que vous avez regarder cette bibliothèque avec envie. Voici un de ces livres qu'elle renferme. A l'intérieur, vous y trouverez des histoires semblables à la votre. Des histoires que j'ai rassemblé tout au long de mon existence. Pourquoi ? Pas pur intérêt scientifique. La votre s'y trouve, tous vos descendants, toutes vos liaisons. Evidemment, elle est inachevée et je doute que vous puissiez trouver des réponses mais peut-être qu'il lui servira à voir la réalité.

Sarah retourna s'asseoir, Pâquerette reprenant sa place.

- Il est bien malheureux que le Prince soit venu se mêler d'une affaire qui ne le regardait en aucun cas. Mais il est le Prince et de ce fait, il a tout pouvoir. En revanche, il aurait du taire ce qu'il savait. Je doute que la jeune Cismihelle vienne ici cette nuit. La révélation faite et la visite du Prince peuvent l'avoir assez ébranler. Et je pense que le souvenir du cimetière la hante assez fortement. J'ai lu son article et je sais que le témoin dont elle parle est elle-même. Elle a été assez sage pour ne pas dévoiler ce fait mais, assez imprudente pour l'avoir imprimé.

Sarah se tut un instant, remplissant à nouveau les verres.

- Profitez de ce que je vous offre, vous n'en trouverez plus de cette qualité en ces temps qui courent... Mais revenons à vous. Vous souhaitez que je vous prodigue des conseils. Que pourrais-je vous dire hormis de laisser le temps faire son oeuvre ? Cismihelle est loin d'être une idiote et elle viendra. Elle viendra chercher d'autres réponses concernant son père et vous concernant. Elle est persuadée que vous avez tué cet homme alors que ce dernier est encore en vie et pas aussi loin qu'elle le pense. Pourtant, elle est en grand danger. Sa position, l'influence qu'elle peut avoir sur les habitants de cette ville et sur toutes les races. Nombre de personnes voudront ce l'approprier et votre devoir, quoi qu'il arrive, est de la protéger. De nombreuses choses se sont dérouler ces derniers temps, la politique est en train de changer, des forces endormies se sont réveiller. D'ailleurs vous avez vu le réveille de l'une d'elle. Celle dont le tertre se trouve sur l'île au centre du lac. La guerre reste sourde mais elle pourrait éclater à tout moment.

Raizo peut sentir qu'elle le regarde intensément comme si elle tentait de fouiller son être sans pour autant le faire.

- Vous êtes le vampire solitaire, celui qui n'a aucune attache et pourtant vous voilà plus lié que vous ne l'aurez souhaiter. Vous avez acquis un nom dans nos rangs et vos services vous seront souvent sollicités. Pourriez-vous combinés votre rôle de gardien et celui de mercenaire ? Il vous faudra faire un choix. Mais sachez une chose, ici vous serez toujours reçu en tant qu'ami et il en va de même de votre descendante humaine, tant que vos intérêts n'interfèrent pas avec les miens, il en va de sois.

Lorsque Sarah Oriane lui tendit le livre, Raizo le prit en hochant la tête pour remercier. Peut-être était-elle trop vampire pour comprendre l'attachement que certains pouvaient porter à l'espèce humaine, un attachement intime. Mais ce n'était pas une tare. Quoiqu'il en soit, il ne savait pas à l'heure actuelle s'il allait lire ce livre ou pas ; il serait sûrement très intéressant, mais il ne pourrait être partout à surveiller tous ses descendants ! De plus, mais c'était une raison qu'il ne divulguerait à personne, il s'était véritablement senti proche de certaines de ses conquêtes, et voir leurs noms provoquerait peut-être chez lui une réaction inattendue. Mais cela lui serait certainement utile un jour, et un cadeau ne se refusait pas.
Néanmoins, un instant, il se demanda si ces livres étaient achetés, ou si la plupart avaient été écrits de la main même de son hôtesse ? Si c'était le cas, elle avait accès à des sources nombreuses et insoupçonnées. Mais après tout, cela ne regardait pas le vampire.

Raizo se contenta de déguster son verre en écoutant soigneusement les paroles de Sarah Oriane, les enregistrant, y réfléchissant. Il manquait actuellement de temps pour méditer dessus, mais il le ferait certainement, car elles n'étaient pas sans sagesse.

"Je vous remercie pour votre accueil présent et à venir. Il est certain qu'un protecteur, au moins au niveau du domaine, de votre envergure sera appréciable en ces temps qui changent. Ne vous en faites pas pour nos intérêts, je doute qu'ils soient une gêne pour vous en tout cas pour ma part. Et pour le choix à faire... Bien que j'y réfléchirai soigneusement, je pense que vous savez tout comme moi vers quel rôle je tendrais."

- En effet, j'ai ma petite idée quant à ce choix mais seul le temps la confirmera.

Serah souriait toujours puis, elle fit teinter à nouveau la clochette et le majordome réapparut. Il débarrassa les verres et la bouteille et, suivant les instruction de la vampire, il alla préparer une chambre d'ami.

- Vous pourrez si vous le souhaitez, trouver quelque repos en ma demeure, le temps que votre protégée vienne. Evidemment, si vous souhaitez retourner à votre appartement situé en face du sien pour avoir un oeil sur elle, je ne pourrais vous retenir. Quoiqu'il en soit, en ce qui concerne nos intérêts, rien n'est moins sûr. Même si pour le moment vous n'interférez pas, il se pourrait qu'un jour vous le faite. Je vous estime Raizo et c'est bien pour cela que je préfère vous mettre en garde.

Une grande horloge dans le salon se mit à teinter les 20 heures. Au son, Sarah se leva et s'inclina légèrement.

- Pardonnez-moi mais je suis dans l'obligation de vous laisser un certain temps. J'ai un travail à faire et je ne peux y manquer.

Sarah sortit de la pièce et s'en fut dans les profondeurs des sous-sols. Le majordome revint dans le salon.

- Monsieur, souhaitez-vous quelque chose ? Maîtresse en aura pour une à deux heures alors n'hésitez pas. J'espère que Pâquerette et Ambre ne vous ennuis pas. Ma maîtresse m'a également demandé de rester près de vous durant toute son absence.

Le majordome se tenait droit comme un i, attendant patiemment.

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